La dînée
La Dînée, Installation, Isabelle Thelen, Exposition Contrepoint, La Case, octobre 2025
Objets de récupération collectés
Contrepoint n.m. (en littérature) : technique narrative où l’auteur superpose plusieurs intrigues et plusieurs thèmes qui se font échos.
#1 – Elle était une fois
Broderies point de croix sur grille antidérapante PVC
#2 – Les mains sales,
Serviette ancienne, piqué libre
#3 – Le palais de ma mère,
Écrins de couverts, Pique aiguille
#4 – Pensées
Boite et galon de récupération
#5 – Sans titre,
Mains mannequins bois, Canevas
#6 – Il est temps d’éteindre l’incendie
Sangle, impression.
« Dans la tragédie on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme ! Ce n’est pas parce qu’il y en a un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir ; qu’on est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier – pas à gémir, non, pas à se plaindre, – à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, ce qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien, pour se le dire à soi, pour l’apprendre, soi. »
Antigone, Jean Anouilh
Dans l’installation, La Dinée, nous nous trouvons là, comme entourés des protagonistes d’un conte initiatique qui commencerait pour une fois par « Elle était une fois », comme pour mettre un point d’honneur à la tapisserie au point de croix, trônant au-dessus du canapé.
Ce dispositif met en résonnance la banalité des objets du quotidien, traditionnellement attribué à l’univers féminin et la force symbolique qu’ils portent. Les objets deviennent sujet pour composer une narration muette, rendant ainsi visible l’invisible de la mémoire familiale et des transmissions féminines. Ces dialogues silencieux nous guident dans l’exploration d’un récit où l’intime devient politique.
Autour de la table, chaque élément semble prêt à la transgression, de la coupelle d’épingles à la grande cuillère invitant à se resservir, des serviettes blanches symbole de pureté, sagement pliées attendant d’accueillir des bouches et des mains sales, au gant féminin esseulé cherchant désespérément au fond d’une boite, une aiguille pour reprendre le fil.
« Le Palais de ma mère » composé de boites à couverts vides, s’ouvre sur l’intérieur de ces écrins capitonnés aux couleurs soyeuses comme un dédale de pièces, vidées de leurs occupants, formant comme un autel pour un pique aiguilles brodé, érigé en symbole de ce royaume déserté.
L’atmosphère étrange est également accentuée par la fenêtre ouverte à l’intérieur des « Pensées » et le galon de visages ahuris qui s’en échappent. Cet élément surréaliste crée comme une tension entre le dedans et le dehors, l’intime et l’attente, interrogeant le regard porté à la fois sur l’avenir et sur la mémoire en héritage. Anne, ma sœur Anne, n’aurais-tu donc vraiment rien vu venir ?
Quant à la présence des mains masculines, surgissant de façon inattendue du dehors, en s’emparant du fil et des canevas inachevés, elles interrogent la frontière entre domination et appropriation, faisant écho aux luttes invisibles et aux transmissions parfois contrariées. Ou bien seraient-elles au contraire le symbole d’un geste libérateur bienveillant et fraternel ?
La question est posée, les interprétations sont multiples. À la vôtre.
Dans tous les cas, une évidence, il est temps d’éteindre l’incendie !
Et en contrepoint à cette installation une vidéo de Marit Thelen / Oysterparty
« Weird eyes », (ce que j’ai vu), texte et images, Marit Thelen
www.oysterteaparty. com..
Instagram @osterteaparty
Chaine You Tube Oyster teaParty
